Les trois mois passés ont été en tout point exceptionnels et difficiles pour quasiment tout le monde. Du point de vue des investisseurs, cette période a bouleversé bon nombre de séries historiques de données économiques et remis en question l’opinion courante concernant le lien entre la performance des actions et la révision des prévisions de bénéfices, et les corrélations entre classes d’actifs. Qui aurait pu imaginer notamment 30 millions de nouvelles inscriptions au chômage aux Etats-Unis en l’espace de seulement six semaines, des indices PMI inférieurs à 30 voire même 20 points dans les principaux pays, un rebond de 30% des actions en dépit de fortes révisions à la baisse des prévisions de bénéfices et un degré sans précédent d’incertitude concernant leur évolution, des taux longs stables malgré le rebond des places boursières ou des prix du pétrole négatifs? La crise de la Covid-19 entre désormais dans sa seconde phase. Après le choc initial et leur réaction dans l’urgence, les gouvernements s’efforcent de réconcilier deux nécessités apparemment opposées: fixer les conditions de la reprise de l’activité économique tout en maintenant la pandémie «sous contrôle», c’est-à-dire dans les limites de la capacité du système de santé à traiter les patients affectés. Cette phase sera tout aussi difficile du point de vue de l’investissement, mais les investisseurs ont au moins quelques éléments tangibles sur lesquels s’appuyer pour négocier les marchés ces prochains mois.
Concernant la durée de cette «pause économique mondiale», l’ensemble des pays développés s’oriente désormais vers une levée progressive des mesures strictes de distanciation sociale pour permettre à la vie économique de reprendre son cours. Le risque de résurgence de la pandémie est l’épée de Damoclès qui menace les perspectives, mais il semble raisonnable de s’attendre à ce que le PIB amorce sa reprise avant l’été. Plusieurs trimestres seront probablement nécessaires pour que l’activité économique retrouve son niveau d’avant la crise, mais le scénario redouté d’une dépression durable semble avoir été écarté.
Le rythme de cette reprise économique sera sans doute le meilleur indicateur du degré d’efficacité de l’intervention récente des gouvernements. Au-delà de l’indispensable soutien au système de santé, l’objectif fondamental des dépenses publiques et des garanties fournies par l’Etat est d’atténuer le coup porté à l’appareil productif pour éviter aux entreprises et aux ménages d’être en faillite au moment où les mesures de distanciation sociale seront enfin levées. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les réussites qui seront obtenues sur ce front. La plupart des entreprises ont suspendu la communication de leurs prévisions, et les investisseurs suivent le rythme de la reprise pour retrouver de la confiance vis-à-vis des perspectives de chiffres d’affaires et de bénéfices.
Il demeure trop difficile d’estimer à quel point les mauvaises nouvelles sont déjà prises en compte par les marchés financiers. Le soulagement de savoir qu’une dépression durable a probablement été évitée grâce à l’intervention des gouvernements pourrait avoir alimenté le rebond des marchés actions en avril. Nous avons toutefois une meilleure idée de la propagation de la pandémie et des risques qui en découlent, ce qui écarte également le scénario d’un retour rapide aux niveaux d’avant la crise. Entre ces deux extrêmes, le champ des issues possibles est assez vaste. Pour les investisseurs, l’enjeu consiste à trouver un équilibre entre s’exposer à la reprise progressive attendue de l’économie et se prémunir des nombreux risques et inconnues qu’ils vont devoir affronter ces prochains mois (y compris ceux qui ne sont pas liés directement à la pandémie, tels que les risques politiques ou géopolitiques).
Dans ce contexte, nous maintenons le positionnement adopté depuis le début du mois d’avril. Les portefeuilles conservent un penchant défensif, mais nous considérons que les créances d’entreprise à haut rendement offrent des opportunités très attrayantes grâce aux politiques des banques centrales qui ont permis de résoudre la crise aiguë de liquidité du mois de mars. La situation est toute autre dans le cas des obligations à haut rendement et de la dette émergente, pour lesquelles les incertitudes entourant les perspectives économiques l’emportent sur l’impact des politiques monétaires ultra-accommodantes. Nous décelons désormais une faible probabilité de nouvelle baisse des taux longs et un moindre pouvoir de diversification des emprunts d’Etat qu’auparavant, à l’exception de ceux indexés sur l’inflation qui continuent d’offrir un potentiel, aux côtés de l’or, compte tenu du niveau actuellement déprimé des anticipations d’inflation et des taux d’intérêt négatifs. Enfin, nous maintenons notre allocation en actions à un niveau proche de neutre, tout en orientant l’exposition géographique et sectorielle en faveur des entreprises de qualité dotées d’un bilan solide et en conservant des protections contre l’éventualité toujours présente d’une seconde phase de baisse des marchés.
_Adrien Pichoud