Asset Allocation Insights

Notre point de vue mensuel sur l’allocation d’actifs (juin 2018)

Mercredi, 06/06/2018

Les marchés continuent à s’en sortir tant bien que mal dans un contexte économique globalement favorable, les actifs étant valorisés pleinement ou à leur juste valeur.

Mercredi 06/06/2018 - 14:00
Fabrizio Quirighetti Macroeconomic Strategist
Hartwig Kos
Adrien Pichoud Chief Economist & Senior Portfolio Manager
Luc Filip Head of Discretionary Portfolio Management
  • Le dollar US fait preuve de fermeté à la faveur des solides données économiques américaines et de la hausse des taux, mais sa vigueur pourrait rester temporaire.
  • L’inflation demeure maîtrisée, mais tend à s’accélérer.
  • La guerre commerciale est source de préoccupation et ne fait qu’aggraver une situation géopolitique déjà complexe.

Modération de notre penchant cyclique

Les marchés continuent à s’en sortir tant bien que mal dans un contexte économique globalement favorable, les actifs étant valorisés pleinement ou à leur juste valeur. A la marge, nous constatons actuellement une divergence entre les Etats-Unis et le reste des marchés développés en termes de croissance, d’inflation et d’orientation de la politique monétaire. Dès lors, le raffermissement du billet vert et la hausse des taux américains compliquent la tâche des banques centrales des pays émergents, comme en témoignent leurs récentes décisions qui soit mettent en œuvre un resserrement musclé de leur politique monétaire soit s’abstiennent soudainement de l’assouplir à nouveau.

Nous pensons que cette divergence devrait être de courte durée. L’Europe et le Japon connaissent probablement un ralentissement de milieu de cycle, ou plutôt un tassement temporaire après une croissance étonnamment solide en 2017, mais leur taux d’inflation devrait lui aussi commencer à remonter et la Banque centrale européenne (BCE) pourrait durcir le ton dès le mois prochain. Dans une certaine mesure, cette divergence pourrait même aider la BCE à exercer une pression indirecte sur le nouveau gouvernement italien pour l’inciter à maintenir la discipline budgétaire.

La stabilisation des niveaux de corrélation et de volatilité des actifs est encourageante, de même que la hausse plus faible que prévu de l’inflation et des salaires. Surtout que cette tendance vient contrecarrer les signes de surchauffe du marché, ce qui réduit la pression incitant la Réserve fédérale américaine (Fed) à resserrer sa politique de façon musclée. Aux niveaux actuels, les cours du pétrole ne devraient pas poser de problème, qu’il s’agisse de l’inflation ou de la croissance américaine. La remontée passagère de l’inflation totale n’aura pas d’effet sur les prévisions de la Fed, et les dépenses d’investissement dans le secteur de l’énergie pourraient compenser dans une certaine mesure l’impact négatif sur la consommation. Par conséquent, nous ne voyons aucun besoin de modifier notre opinion vis-à-vis du risque et de la duration, que nous maintenons à légère surpondération et légère sous-pondération, respectivement.

Cependant, une allocation plus équilibrée aux actions s’impose désormais, car l’économie mondiale se situe davantage dans une phase d’expansion que de redressement, l’inflation remonte progressivement et les courbes des taux s’aplatissent sous l’effet de la normalisation de la politique monétaire. En outre, les valorisations des actifs défensifs par rapport à celles des actifs cycliques se sont globalement améliorées ces derniers mois. D’où notre décision de modérer notre penchant cyclique en commençant à établir des positions dans des secteurs défensifs comme la santé, et en rétrogradant la zone euro et le Japon à légère sous-pondération. Les valorisations sur ces deux marchés se sont détériorées récemment et pourraient également être pénalisées par le rebond de l’euro et du yen ou par une nouvelle déception sur le front de la croissance s’il s’avère que nous avons fait le mauvais choix.

_Fabrizio Quirighetti

Contexte économique en bref et analyse globale

Nous assistons semble-t-il à un «retour à la normale». Après l’intermède qui a vu la vieille Europe et le Japon vieillissant prendre les commandes de l’expansion globale en 2017, les Etats-Unis sont désormais de retour à la pointe de l’économie mondiale. Alors que la plupart des économies développées s’essoufflent cette année, l’économie américaine continue d’afficher une solide croissance de la consommation et des investissements des entreprises, soutenue par la politique budgétaire, et est en bonne voie pour enregistrer en 2018 un taux de croissance du PIB supérieur à l’an dernier, contrairement à la majorité des pays développés. La Fed est à l’aise en mode «pilotage automatique» dans son cycle de relèvement des taux. Même en ce qui concerne les questions géopolitiques, les Etats-Unis semblent avoir l’avantage pour le moment, qu’il s’agisse de la Corée, du Moyen-Orient ou des négociations commerciales. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que le dollar US ait repris du terrain par rapport à son plus bas en trois ans atteint après le sommet de Davos.

L’ascendant des Etats-Unis sur les plans de la croissance, des taux et des changes n’est pas sans conséquence pour le reste de l’économie mondiale. Les pays émergents présentant d’importants besoins de financement extérieur sont mis en difficulté par le raffermissement du dollar, notamment lorsqu’ils sont également importateurs de pétrole alors même que les cours du brut remontent. Les premières fissures commencent déjà à apparaître dans les pays fragiles que sont l’Argentine et la Turquie, mais la pression pourrait elle-même s’accentuer sur les pays qui affichent depuis quelque temps une meilleure dynamique économique, comme l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil. Il est possible que la croissance du PIB mondial en 2018 soit similaire à celle de l’an dernier comme le prévoit le Fonds monétaire international (FMI), mais l’expansion globale devrait être nettement moins harmonieuse qu’en 2017.

 

Croissance

En deçà d’une croissance mondiale encore généralisée apparaissent des tendances divergentes: croissance plus forte aux Etats-Unis, bonne tenue des pays émergents qui présentent un solde extérieur excédentaire, ralentissement en Europe et au Japon, et vacillement des pays émergents présentant un déficit extérieur.

 

Inflation

L’inflation reste le mystérieux élément manquant dans le paysage économique des marchés développés, même aux Etats-Unis où la solide croissance et le faible taux de chômage ne sont pas parvenus jusqu’ici à engendrer une accélération des salaires et des prix. La vigueur du billet vert réactive les risques d’inflation importée sous l’effet des taux de change dans les pays émergents.

 

Orientation des politiques monétaires

Seule la Fed est en mesure de poursuivre la normalisation de sa politique. Les autres banques centrales des pays développés doivent quant à elles rester sur la défensive du fait d’une croissance moins soutenue et de faibles taux d’inflation. La fin de la tendance désinflationniste prononcée parmi les pays émergents prive également leurs banques centrales de l’opportunité d’assouplir leur politique monétaire.

«L’ascendant des Etats-Unis sur les plans de la croissance, des taux et des changes n’est pas sans conséquence pour le reste de l’économie mondiale.»
Adrien Pichoud Chief Economist & Senior Portfolio Manager
Tendances et niveau de l’indice PMI manufacturier
Tendances et niveau de l’indice PMI manufacturier
Source
Factset, SYZ Asset Management. Données au 11 mai 18
Tendance de l’inflation et écart par rapport à l’objectif de la banque centrale
Tendance de l’inflation et écart par rapport à l’objectif de la banque centrale
Source
Factset, Markit, SYZ Asset Management. Données au 11 mai 18

Economies développées

Dans le contexte du ralentissement général des pays développés, les Etats-Unis s’illustrent clairement comme la seule grande économie dont la dynamique de croissance reste positive, comme en témoignent la bonne tenue du sentiment des entreprises et des ménages et les solides données sur l’activité. L’impact de la réforme fiscale a indéniablement contribué à doper la confiance et apporte un soutien effectif aux investissements des entreprises, même si cet impact est appelé à s’évanouir dans le courant de l’année. Cette toile de fond économique favorable n’a pas encore donné lieu à l’accélération escomptée de la hausse des salaires et des prix, mais la Fed dispose de suffisamment d’arguments pour poursuivre la normalisation de sa politique, avec un relèvement de 25 pb de ses taux chaque trimestre. A ce rythme, le soutien apporté par la politique monétaire aura disparu d’ici le début de 2019.

La zone euro reste confrontée à un certain ralentissement de sa croissance après les niveaux très élevés atteints en 2017. La vigueur de l’euro a vraisemblablement pesé sur l’activité et le sentiment dans les pays exportateurs, notamment en Allemagne. L’incertitude engendrée par la menace de taxes américaines sur les importations est également susceptible d’avoir terni le sentiment pour les secteurs exposés au commerce international. Cependant, même après ce ralentissement, l’expansion de l’économie reste positive, voire supérieure au taux de croissance potentiel de la zone euro. Dans ce contexte, l’Espagne continue de s’illustrer comme l’économie affichant la plus forte croissance parmi les principaux pays membres de l’union monétaire.

Le Royaume-Uni connaît également un certain tassement de sa croissance face au raffermissement de la livre sterling et à l’atonie de la demande intérieure. Les incertitudes entourant la situation post-Brexit continuent également d’assombrir les perspectives. La vigueur du yen pénalise également l’économie japonaise, dont la croissance connaît actuellement une détérioration. En revanche, la dépréciation du franc suisse aide l’économie helvète à résister au ralentissement de ses principaux partenaires commerciaux.

 

Economies émergentes

Comme c’est parfois le cas, les pays émergents semblent actuellement se ranger en deux catégories: ceux qui ne dépendent pas de financements externes et ceux qui en dépendent. S’agissant des premiers, Asie orientale et Russie comprises, le maintien de la croissance de l’économie mondiale offre une toile de fond suffisamment solide pour leur permettre de résister aux poussées haussières du dollar US et à l’incertitude entourant les taxes douanières, pour un temps à tout le moins. Pour les seconds, le raffermissement du billet vert a des effets immédiats allant des flux de capitaux à la dépréciation de leur monnaie, associés à des pressions inflationnistes et au resserrement consécutif des politiques monétaires.

Pour les pays membres de cette deuxième catégorie qui sont également importateurs de pétrole, l’environnement devient très difficile, comme nous le constatons déjà dans le cas de l’Argentine ou de la Turquie. De fait, la Turquie est désormais confrontée à une situation délicate constituée d’un ralentissement de sa croissance, d’une inflation obstinément élevée, d’une aggravation des déséquilibres externes et d’incertitudes tant sur le plan géopolitique que sur la scène intérieure. Il n’est dès lors pas surprenant que la livre turque ait touché un nouveau plus bas en avril, ce qui contraindra la banque centrale à relever ses taux de façon musclée au détriment de la demande intérieure. Un problème «classique» des marchés émergents s’il en est, mais il est à craindre qu’un nombre croissant de pays émergents se retrouvent dans une situation comparable au cours des mois à venir si la combinaison constituée d’un dollar fort, d’une hausse des taux américains et d’une remontée des cours du pétrole persiste.

_Adrien Pichoud

La vigueur de la croissance américaine et du dollar US n’est guère favorable pour des pays comme la Turquie ou l’Inde
La vigueur de la croissance américaine et du dollar US n’est guère favorable pour des pays comme la Turquie ou l’Inde
Source
Factset, Markit, SYZ Asset Management. Données au 30 avr. 18

Investment Strategy Group - Synthèse et valorisations des actifs

Risque et duration

Bien que certains facteurs, notamment les craintes de guerre commerciale, les inquiétudes que suscite la hausse des rendements des bons du Trésor américain et le risque de volatilité des marchés émergents, aient fortement pesé sur le sentiment des investisseurs ces dernières semaines, le moment n’est pas encore venu de modifier le positionnement vis-à-vis du risque ou de la duration. La toile de fond économique demeure favorable et les valorisations des actions sont certes élevées, mais loin d’être excessives. De plus, la dynamique de l’inflation se tasse légèrement et les investisseurs se sont indéniablement adaptés au changement de ton des banques centrales plus rapidement que par le passé. Par conséquent, aucun changement ne s’impose pour le moment.

«Tout en conservant notre opinion positive vis-à-vis de secteurs cycliques comme l’énergie et les valeurs bancaires aux Etats-Unis et en Europe, nous décelons également un nombre croissant d’opportunités dans les secteurs défensifs. Le secteur de la santé en Europe – notamment les valeurs pharmaceutiques – offre un potentiel de plus en plus intéressant.»
Hartwig Kos

Marchés actions

S’agissant du positionnement sur les actions, notre approche consistait auparavant à orienter le bêta du portefeuille en faveur des secteurs cycliques, sans grandes différences entre les pays. Cette approche évolue désormais. Tout en conservant notre opinion positive vis-à-vis de secteurs cycliques comme l’énergie et les valeurs bancaires aux Etats-Unis et en Europe, nous décelons un nombre croissant d’opportunités dans les secteurs défensifs.

Le secteur de la santé en Europe – notamment les valeurs pharmaceutiques – offre un potentiel de plus en plus intéressant. Par le passé, ce secteur était jugé défensif et très onéreux. De fait, en 2014 et 2015, le segment de la pharmacie se traitait avec une prime de près de cinq points par rapport au marché dans son ensemble. Ces deux dernières années toutefois, à mesure de la remontée des rendements obligataires, les valorisations des actions pharmaceutiques ont considérablement baissé par rapport à celles des actions européennes en général. Le secteur est certes loin d’être bon marché, mais il est plus proche de sa juste valeur qu’il ne l’était depuis un bon moment. En outre, le sentiment vis-à-vis des valeurs pharmaceutiques et les révisions des prévisions de bénéfices se sont nettement améliorés ces derniers mois.

Les investisseurs étant désormais moins préoccupés par le niveau des rendements obligataires et l’évolution à venir des taux d’intérêt, les valeurs pharmaceutiques offrent des caractéristiques très favorables, notamment de faibles ratios dette/fonds propres et des taux de croissance élevés et soutenables. Enfin, elles peuvent contribuer à donner au portefeuille un profil moins cyclique et plus défensif.

Nos préférences régionales connaissent également une évolution majeure. Nous avons rétrogradé les actions de la zone euro et du Japon de légère surpondération à légère sous-pondération, tout en conservant une légère surpondération sur les actions britanniques et américaines. L’adoption d’une prédilection pour les Etats-Unis au détriment de l’Europe est particulièrement significative. Trois aspects ont motivé cette réorientation. Premièrement, la relative résilience de l’économie américaine par rapport à l’économie européenne. Ces derniers mois, les Etats-Unis ont continué à afficher de solides données économiques, tandis que celles publiées en Europe se montrent plus mitigées, accroissant le risque de volatilité des actions européennes. De plus, les valorisations des actions se sont améliorées aux Etats-Unis, tandis qu’elles se sont détériorées en Europe. Enfin, le taux de change EUR/USD est retombé à 1,18 après avoir atteint 1,25 en janvier dernier. Cette vigueur du billet vert était quelque peu attendue, mais nous pensons qu’il s’agit d’un phénomène temporaire et que la faiblesse de l’USD est susceptible de reprendre au cours des mois à venir, offrant une modeste impulsion aux actions américaines tout en constituant un obstacle pour les actions européennes.

«Nous avons rétrogradé les actions de la zone euro et du Japon de légère surpondération à légère sous-pondération, tout en conservant une légère surpondération sur les actions britanniques et américaines.»
Hartwig Kos

Marchés obligataires

Les changements intervenus dans ce segment ont été mineurs. Les BTP et les linkers italiens ont été revus à la baisse pour des raisons politiques, de même que les obligations locales turques.

 

Changes et liquidités

Après une période de net raffermissement, la reprise de la faiblesse du dollar n’est qu’une question de temps. Le tassement de l’activité constaté ces dernières semaines au niveau de l’économie européenne a amené les investisseurs à douter des intentions de la BCE en matière de politique monétaire. Les anticipations d’inflation aux Etats-Unis poursuivent leur remontée progressive, tandis que celles en Europe stagnent désormais. En outre, les anticipations intégrées par le marché américain concernant les taux d’intérêt dépassent désormais les niveaux suggérés par la Fed (du moins à court terme). Un nombre relativement important de facteurs favorables au dollar a vu le jour, mais il est fort probable que ceux-ci s’évanouissent au cours des prochains mois. Par conséquent, nous avons rehaussé l’euro à légère surpondération par rapport à l’USD.

_Hartwig Kos